Le vieux Mathurin à François d’Entremont était un homme avant son temps. Il lisait beaucoup, en particulier les journaux, et ainsi se tenait au courrant de ce qui se passait dans le monde. On pourrait dire qu’il s’intéressait à tout ce que nous appelons aujourd’hui «le progrès». Pendant un certain nombre d’années il eut une tannerie et avec le cuir qui en sortait il fabriquait des chaussures de travail, des courroies pour des jougs à boeufs et autres articles de ce genre. Il se connaissait bien en matière d’agriculture.
Mathurin fut aussi marchand. Et comme c’était alors la coutume, les hommes du village se rassemblaient à son magasin le soir. Un de ces hommes était le vieux Etienne Duon, mieux connu sous le nom Kékaine, qui demeurait chez Alfred Bourque. Personne du village ne produisait de meilleures fraises que Kékaine. Il le faillait bien; il passait la plus grande partie de l’été à les soigner. Or un soir Mathurin dit à Kékaine qu’il allait se faire venir des pieds de fraises, de quelque part en Ontario, pour les planter dans son jardin et que s’il voulait il en demanderait pour lui également. Kékaine dit qu’il en prendrait.
Au temps voulu nos deux jardiniers mirent en terre les nouvelles plantes venues de l’Ontario. Quelques mois plus tard, lorsque Kékaine se trouvait dans son jardin, deux ou trois jeunes garçons vinrent à passer par là et demandèrent à Kékaine pour quelle raison ses fraises paraissaient plus belles que les fraises à Mathurin (ils aimaient à le faire parler). Kékaine se redressa lentement, se dégota un peu, puis répondit: «La raison est bien simple. Mathurin a planté ses fraises dans la lune; mois je les ai plantées dans la terre. Voilà la raison».
Apparemment, l’homme du nord croyait moins à planter dans certaines phases de la lune que la plupart des autres gens.
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