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13. NAPOLEON BUCKSAW

Ce court texte a été rédigé en anglais par le père Clarence d’Entremont et publiés dans le Yarmouth Vanguard le 28 mars 1989. Traduction de Michel Miousse


Quelques-uns de ceux qui liront cette histoire vont se rappeler, de Napoléon Bucksaw. Son nom de famille était d’Auteuil. D’où venait-il ? Les registres de la « Maison des Pauvres » de Meteghan, maintenant appelé le « Foyer Sainte-Marie », où il a passé ses derniers jours, nous donnent le Petit Ruisseau* comme lieu de sa naissance. En se fiant à l’âge mentionné il serait né en 1856 ou 1857. Son nom n’a pu être retrouvé dans aucun registre d’église pas plus que dans aucun recensement. Mais nous savons qu’il était un « d’Auteuil » qui devint par la suite « Doty. »


Le premier du nom dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse était Jean François d’Auteuil qui se faisait parfois appeler « François. » Il était né en France en 1786, près de Soissons, à une centaine de kilomètres au nord est de Paris. Il arrive dans le Comté de Yarmouth en 1818, à l’époque où il y avait plus de deux douzaines de Français établis dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse pendant la Révolution Française et les Guerres de Napoléon. C’est ici qu’il épouse Luce Mius qui, bien qu’étant une sœur de Marie, la mère de Joseph Quomino dont je vous ai parlé dans l’histoire no.3 ; était aussi sœur de Claire, la femme d’Anselme Hatfield. Il est assez étrange qu’à propos des cinq filles de Charles Amand Mius, une seule d’entre elles, du nom de Rosalie, se soit mariée à un Acadien, Pierre Moulaison ; ils sont les ancêtres des Moulaisons des Iles de la Madeleine*. Claire et Marie ont épousé des « hommes de couleur » et Marguerite tout comme Luce a épousé un français, Jean Courtois, décédé peu de temps après son mariage, bien que Marguerite ait donné naissance à huit enfants.


Jean François d’Auteuil et Luce Mius emmenèrent leur famille dans la région des Concessions du Petit Ruisseau*. François portait quelque fois une veste courte, appelée en français « pet-en-l’air », un mot qu’on retrouve dans tous les dictionnaires français mais que vous n’entendrez jamais prononcer dans la bouche des membres de la haute société, même si c’était un surnom qu’on lui avait donné. Nous le retrouvons pour la dernière fois en 1871, âgé de 85 ans, demeurant avec sa fille Magdeleine Appoline, qui épousa Célestin Smith ; la maison était située du côté nord de la Concession de la route principale aussi appelée la « Route de la Station du Petit Ruisseau*. »


Je dois mentionner ici que Magdeleine Appoline d’Auteuil pourrait très bien avoir été la mère de Napoléon d’Auteuil né en 1856-57, le premier enfant qu’elle eut avec Célestin Smith étant né en 1859.


Quoiqu’il en soit, Napoléon d’Auteuil était connu à travers toute la partie française du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse sous le nom de « Napoléon Bucksaw. » Il a gagné sa vie en coupant du bois avec son égoïne qu’il emmenait avec lui partout où il allait.


Pour les plus jeunes générations qui liront ceci, cette égoïne, qui est maintenant devenue un item de musée, était une scie en forme de H qu’on utilisait pour couper le bois de chauffage sur un chevalet.


Il allait de maison en maison coupant du bois pour un repas gratuit.


Il lui arrivait de manger deux dîners ou deux soupers par jour, quand il coupait du bois en deux différents endroits. Les gens étaient bons avec lui ; ç’aurait pu être par charité ou simplement parce que c’était un aimable petit homme, bon et gentil dans sa simplicité. Comme il n’y avait pas d’automobiles ou si peu, les gens qui voyageaient avec leurs chevaux le faisaient monter avec eux. Inutile de dire que lors de ses voyages, il ne s’assoyait jamais sur une banquette. Il semble qu’il lui arriva quelques fois de devoir passer une journée sans un repas ou qu’il dut dormir à l’arrière d’une grange.


Mon bon ami Florise d’Eon de Pubnico Ouest, aujourd’hui décédé, m’a raconté l’histoire suivante à propos de Napoléon Bucksaw. Aux alentours de 1914, alors qu’il avait environ 12 ans, lors d’une veille de Noël particulièrement douce et boueuse, il alla jusqu’à la maison d’un voisin pour y passer une partie de la soirée. Pendant qu’il était là, quelqu’un vint frapper à la porte arrière et un petit homme trapu, arborant une grosse barbe et transportant une égoïne, entra ; les voisins en question le connaissaient bien parce qu’il l’appelait par son petit nom, Napoléon. Ils lui servirent à souper. Il leur dit qu’il allait leur couper du bois de chauffage pour trois fois « quinze pièces » par jour, ce qui voulait dire 25 cents, donc 75 cents en tout. Il avait entendu parler d’un homme qui venait de mourir à Pubnico Ouest ; il demanda alors à mon ami de le reconduire à la maison de cet homme, pensant qu’il pourrait mettre la main sur les mocassins du défunt. Marchant du Petit Ruisseau à Digby et de Digby jusqu’à Pubnico et de retour de Pubnico jusqu’au Petit Ruisseau, il a sûrement du porter plus d’une paire de chaussures ou de mocassins par année. Florise me dit qu’il avait conduit Napoléon jusqu’à la maison où reposait le corps de l’homme mort. « Nous avons vu par la fenêtre que la maison était pleine de gens à genoux en train de dire un rosaire. » Quand ils eurent fini, Napoléon s’introduit à l’intérieur mais je restai dehors à l’attendre. Il revint sans mocassins et nous retournâmes à la maison les pieds dans la boue. « Et Florise ajoute » : « Je me suis demandé tout ce temps si je n’avais pas affaire au Père Noël lui-même. »


Napoléon ne s’est jamais marié. Il semble qu’un jour, le Père Mery, pasteur de Pointe de l’Église, lui dit qu’il devrait prendre épouse, une idée qui jusque là ne lui avait jamais traversé l’esprit. Le Père Mery, le voyant surpris, lui dit qu’il avait une nature humaine comme tous les autres ; Napoléon fut surpris d’apprendre qu’il possédait une telle chose dont il n’avait jamais entendu parler auparavant. Le Père Mery lui dit même, qu’il pourrait marier Catherine à Dick, qui s’appelait Catherine Belliveau, fille de Frédéric, celle-là même, que nous appelions « Catherine des pots de chambre » lorsque nous étions étudiants au collège, parce qu’il lui arrivait durant la journée de prendre soin des dortoirs du Collège Sainte-Anne. Vous pouvez imaginer la surprise de Catherine lorsque Napoléon vint lui faire sa proposition, à laquelle elle répondit que c’était impossible. Alors Napoléon, ne se rappelant plus exactement ce que le père Mery lui avait dit qu’il possédait répondit à Catherine : Le Père Mery m’a dit que nous pouvions puisque nous avons tous deux la cuillère humaine… !


Il fut admis à la maison des pauvres de Meteghan, le 6 juin 1932, présumé âgé de 75 ans, mais fut renvoyé le 15 décembre de la même année. Il fut réadmis à nouveau le 16 mars de l’année suivante, alors qu’on le disait âgé de 76 ans. C’est là qu’il rendit l’âme quelques mois plus tard le 10 mai 1933.

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